Carte blanche

     Cinq minutes. Cinq minutes et j’ai carte blanche.

     En cinq minutes, il faudrait que je vous explique tout, ou que je vous donne envie de tout savoir. Y a-t-il une recette pour ne montrer que le meilleur ? Je ne crois pas. Aujourd’hui, j’ai décidé de venir intègre, pieds et mains nus, avec pour seul soutien ce bout de papier, cette feuille vierge, cette carte blanche. Je viens comme je suis : sans artifice et sans détour. Il y a tant de choses à voir, à vivre, à débattre.

     Je vous parlerai notamment de ces personnes qui, comme vous et moi pourtant, seraient prêts à donner leur vie pour obtenir ce que je détiens entre les doigts : des papiers. Ceux-là qui ont quitté leur propre pays natal, en famine ou en guerre, dans l’espoir de trouver refuge sur d’autres terres. Vous en avez entendu parler aussi, n’est-ce pas ? Ceux-là même qui, s’ils ont réussi à franchir nos frontières en vie, se trouvent ici seuls, sans moyen, sans abris, sans travail, sans aide et sans soutien. Des sans-papiers, oui.

     C’est drôle, ce petit rectangle me rappelle l’omniprésence de tous ces petits billets verts que certains collectionnent tandis que d’autres ne cessent de perdre désespérément. Il y a aussi tous ceux qui n’en ont plus, qui en doivent mais qui continuent à faire semblant malgré tout. Ces nombreuses familles, Américaines ou autre, qui vivent dans un luxe qui, bien avant la crise, ne leur appartenait déjà pas. Et puis il y a ces hommes qui vivent sur le dos de ceux qui tremblent en attendant la fin du mois, qui spéculent toute l’année au Nième étage d’impressionnants buildings et qui s’offrent une fois par an, plus ou moins peut-être, des vacances de luxe dans des pays que l’on s’efforce à appeler « en voie de développement ». Sans compter ce qui a été qualifié par certains de « tourisme sexuel » ou de « prostitution touristique ». Ces Thaïlandaises, ces Éthiopiennes de quinze ans qui vendent leur corps à de riches occidentaux qui n’ont pas moins de trois fois leur âge.

     Il y a tant de choses à dire. Je voudrais témoigner de tout cela. Je voudrais en avoir le temps, et l’occasion. Toutes ces choses qui nous entourent et qui construisent notre monde, en quelques sortes. La neige que je vois tomber de ma fenêtre en hivers. La solitude de cette vieille femme à qui personne ne rend jamais visite. Le goût des fraises. Ce père de famille qui vient d’être licencié. La couleur des coquelicots. Cette adolescente qui se questionne. Le trac avant de monter sur scène. Cet informaticien diplômé mais chômeur. Le bonheur de vivre d’un métier que l’on aime. La précarité. Et ces écoles qui ont tant à nous apporter...

     Je voudrais m’en sortir. Je voudrais vivre de ce que j’aime et aimer ce que je fais. Il est trop facile, pour une jeune fille comme moi, d’avoir une vision arrêtée sur ce qui l’entoure.  Il est trop facile, dans ma situation, de juger de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Il est trop facile de se tromper. Je ne demande qu’à apprendre. Je ne demande qu’à recevoir ce que l’on a à m’offrir et pouvoir, à mon tour, un jour, offrir ce que j’ai reçu. Et transmettre. Aujourd’hui, je suis venue pieds et mains nus avec cette carte blanche, vierge, qui ne demande qu’à se remplir, qu’à vivre, qu’à évoluer pour émouvoir et communiquer.

     Une vie. Une vie et j’ai carte blanche.



05/09/2009
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