Je me souviens
Je
me souviens de la première fois où je suis montée sur
scène. Je devais avoir 13 ou 14 ans. Cet
âge où on est moche. Je l’étais d’ailleurs : moche. Je sais, c’est
difficile à croire, mais je l’étais encore plus qu’aujourd’hui ! Je ne
sais pas ce qui m’avait prise, je ne sais pas pourquoi mais un an auparavant
j’avais passé une audition pour intégrer la classe théâtre de mon collège. Deux
choses étranges s’étaient alors produites : la première était que, pour la
première fois, j’avais pris une décision
toute seule, et la deuxième : j’avais été choisie ! Je ne sais pas
pourquoi… Je devais avoir l’air drôle…
ou les examinateurs étaient peut-être sou.. ! Toujours est-il que, durant
l’année, tous les mercredis matin, nous étions quinze à sauter deux heures de
français pour nous réunir dans la salle
de réunion des professeurs et jouer à
être quelqu’un d’autre. Je n’étais pas très douée. J’étais même très
nulle ! J’avais du mal à me distinguer et, souvent, j’en arrivais à me
demander ce que je pouvais bien faire parmi ces autres qui avaient tant de
talent à mes yeux. Je me sentais en retard. Finalement, au mois de juin, comme
tout groupe de théâtre amateur qui se respecte, nous avions ces fameuses
« représentations de fin d’année ». J’avais deux textes à jouer :
des paroles de chansons. Une de Bénabar avant qu’il ne passe à la radio et
devienne connu, et une autre, dont je ne connais pas l’auteur, très courte.
Etrangement, je n’avais pas de trac, ou presque pas. J’ai compris plus tard
pourquoi : le trac vient avec le talent, c’est comme les champoings deux
en un ! Et puis je suis montée sur scène. Ce que j’ai joué n’avait
surement aucun intérêt, c’était surement, comme tout le reste, très nul. Mais,
ce soir là, coincée entre les planches en bois et le feu des projecteurs, j’ai
compris. On entend souvent dire « dans la vie je suis timide, mais sur
scène c’est différent. Je ne suis pas moi, je joue mon personnage ». Mais moi c’est dans la vie que je suis un
personnage, c’est dans la vie que je joue. Avec mon entourage et même quand je
suis seule, je ne suis qu’une illusion, je joue des rôles différents selon le
contexte, je m’adapte. Quand je suis sur scène, c’est moi. Quel que soit mon
rôle, quelque soit le personnage que j’interprète et l’importance de sa
présence dans la pièce, il n’y a personne d’autre que moi sous les projecteurs.
Je suis seule, tout le monde me regarde, et je me bats pour rester digne de
cette place. C’est ce qui se passe dans ma tête. Après, je ne sais pas ce que
les spectateurs, surement, comme à mes début, quelque chose de nul. Mais moi je
sais qui je suis, où, et pourquoi. Pour finir, je me souviens que, après le
spectacle, j’ai découvert que j’avais eu mes premières règles. Rien de très
exceptionnel, un truc de filles ! Toutes mes copines les avaient déjà eues
avant moi ! Mais justement. C’est bien en montant pour la première fois
sur scène que j’ai réussi à rattraper les autres.