J'entends ma mère qui gueule
J’entends
ma mère gueuler dans la maison. Elle gueule après mon frère qu’est en pleine
crise d’adolescence. Si elle me croise, ce sera mon tour. Sans que je, sans
qu’elle-même ne sache pourquoi. Moi je le sais. Je la comprends, ma mère. Elle
l’ignore mais je la comprends aujourd’hui. Elle gueule. Non, y’a pas d’autre
mot. Elle gueule pour ne plus avoir à entendre le silence qui règne chez nous.
Enfin… ici je veux dire : dans cette maison. Elle gueule parce que, sans
elle, y’aurait plus rien. Elle gueule pour ne plus penser. Il y en a qui
boivent pour oublier, ben ma mère, elle, elle gueule ! Elle sait que ça
changera rien pourtant. Que ça ne responsabilisera personne, pas même mon père
qui, lui, pour le coup, travaille pour ne l’entendre gueuler. Pour oublier
qu’il s’est marié. Oublier qu’il a fait des enfants. Que ces enfants se barrent
en couille et que sa femme n’est plus heureuse.
J’entends
ma mère gueuler contre mon frère mais, moi je sais. Je sais que c’est pas
contre lui qu’elle gueule. C’est contre nous tous. Contre elle-même peut-être
bien. Elle gueule parce que, pour sa retraite, elle rêvait d’amour, de
bénévolat, de voyages… Parce qu’au lieu de ça, elle passe ses journées
cloitrées entre un balai et une machine à laver. Entre une casserole et les
devoirs de mon frère. Entre le silence et les insultes de mon père… quand il
est là… pour quelques heures tout au plus.
J’entends
ma mère qui gueule dans la maison. Je l’entends et je comprends aujourd’hui.
Plus que jamais. Mieux que personne. Ce sont des appels au secours.